« DE PLUS EN PLUS DE SIGNES DE GÉNOCIDE », DISENT DES EXPERTS

By AGNÈS GRUDA Published by LA PRESSE on February 27, 2018

C’est plus qu’une crise humanitaire, plus qu’un nettoyage ethnique et plus qu’un massacre contenant des « éléments de génocide. »

Les exactions subies par la minorité rohingya en Birmanie (Myanmar) depuis l’été dernier ressemblent de plus en plus à un génocide en bonne et due forme, affirment des experts représentant une douzaine d’organisations qui ont tenu une conférence hier, à Berlin.

L’évènement se tenait au Musée juif de Berlin. Le symbole est lourd et fait allusion à l’extermination des Juifs européens par les nazis, reconnaît Kyle Matthews, directeur de l’Institut montréalais d’études sur les génocides et les droits de la personne, qui participait à la rencontre.

La conférence devait d’ailleurs se terminer par une marche entre le musée et le monument aux victimes de l’Holocauste, hier soir.

Y a-t-il vraiment une analogie entre le sort qu’ont connu les Juifs européens pendant la Seconde Guerre mondiale et celui de la minorité musulmane birmane, ciblée par la majorité bouddhiste ?

« Tout indique qu’il s’agit de massacres planifiés, et que la Birmanie n’a aucune intention de laisser les Rohingya rentrer chez eux. »

— Kyle Matthews, en entrevue téléphonique de Berlin

« On cherche plutôt à détruire la communauté des Rohingya. »

Les récentes révélations sur les villages rohingya anéantis, documentées grâce à des photos aériennes publiées à la mi-février par l’ambassadeur de l’Union européenne en Birmanie, Kristian Schmidt, confirment cette politique de la terre brûlée.

Elles soulèvent aussi des inquiétudes sur le sort des Rohingya restés en Birmanie, malgré les exactions.

Quelque 700 000 membres de la minorité musulmane en Birmanie ont fui vers le Bangladesh voisin depuis le début des massacres, déclenchés à la suite de l’attaque d’une vingtaine de postes militaires birmans par des rebelles rohingya, en août 2017.

Au moins un demi-million de membres de cette communauté se trouvent toujours à l’intérieur de la Birmanie, dans l’État de Rakhine qui est fermé aux organisations humanitaires et aux médias internationaux.

« Ça fait un demi-million de personnes en danger », s’inquiète Kyle Matthews.

Des crimes « atroces » et à « grande échelle » se déroulent toujours en Birmanie, clament les signataires d’un « appel au retour protégé des Rohingya », adopté à l’issue de la conférence de Berlin, hier.

APPEL

Cet appel évoque des centaines de villages détruits et de maisons brûlées. Il rappelle aussi que 6000 réfugiés rohingya se trouvent actuellement coincés dans un no man’s land entre la Birmanie et le Bangladesh, alors que le gouvernement birman demande à son voisin de les priver de toute nouvelle aide humanitaire.

Les exilés rohingya ont fui massivement au Bangladesh, où ils ont formé ce qui constitue aujourd’hui le plus gros camp de réfugiés de la planète. En novembre dernier, le Bangladesh et la Birmanie ont conclu un accord pour leur permettre de rentrer chez eux.

Or, constate Kyle Matthews, dans l’état actuel des choses, un tel retour serait prématuré et dangereux.

« Ce qu’on entend à la conférence, c’est que des milices n’attendent que le retour des Rohingya pour les attaquer. »

— Kyle Matthews

Déjà en décembre, l’ONU avait alerté la communauté internationale, affirmant que les massacres qui avaient alors lieu dans l’État de Rakhine contenaient « des éléments de génocide ».

Selon Kyle Matthews et les autres participants à la conférence de Berlin, de plus en plus d’indices pointent vers une tentative délibérée d’éradiquer un groupe ethnique ou religieux – ce qui constitue un génocide.

Depuis le début de la crise, le Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas parvenu à adopter une seule résolution sur la question des Rohingya, déplorent les signataires de l’appel de Berlin.

« S’il y a jamais eu un bon moment pour empêcher le génocide et mettre en branle le principe de la responsabilité de protéger, c’est maintenant », écrivent-ils.

Ils demandent aussi à plusieurs grandes puissances, incluant le Canada, d’organiser une grande conférence internationale pour trouver une solution à cette crise.

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