By Dorian Malovic | Published by La Croix on September 18, 2018
Dans son rapport final publié mardi 18 septembre, l’ONU exhorte au retrait de l’armée de la vie politique, et cite six hauts responsables de l’armée, demandant qu’ils soient poursuivis pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » envers les Rohingyas.
Les accusations sont claires et la justice doit prévaloir. En présentant mardi 18 septembre leur rapport final sur la crise des Rohingyas en Birmanie, les enquêteurs de l’ONU ont exhorté le gouvernement civil à sortir l’armée birmane de la vie politique au vu de son implication dans « le génocide » des musulmans rohingyas depuis l’année dernière.
Les autorités du pays doivent « poursuivre le processus visant au retrait des militaires de la vie politique » en engageant une révision de la Constitution en ce sens, d’après le rapport final de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur la Birmanie.
L’armée birmane reste omnipotente
Malgré l’arrivée au pouvoir, en 2016, du gouvernement civil de la Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, l’armée conserve une place centrale dans le régime politique birman. Elle contrôle trois ministères régaliens : la défense, l’intérieur et les frontières. Elle supervise également l’attribution d’un quart des sièges au Parlement, ce qui lui permet de bloquer tout amendement constitutionnel qui limiterait ses pouvoirs.
« Dans le processus démocratique que les militaires ont voulu lancer depuis 2006,explique Maung Zarni, militant birman en exil aux États-Unis puis à Londres depuis de longues années, ils ont voulu utiliser la "Dame de Rangoun" comme un écran de fumée et ont joué sur son immense ego, comme si Aung San Suu Kyi pouvait marcher sur l’eau. En réalité elle n’a jamais été une victime des militaires, mais a joué le jeu depuis le début. Sauf qu’elle n’a pas la carrure d’un Nelson Mandela ou d’un Gandhi et qu’elle a toujours été, depuis les années 1970, une nationaliste raciste contre les minorités en Birmanie ».
Dans ce contexte, les enquêteurs ont également demandé le limogeage des chefs militaires, dont le chef de l’armée Min Aung Hlaing et cinq autres gradés. L’ONU appelle à ce qu’ils soient poursuivis pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre ».
Le rapport de l’ONU dénonce « assassinats », « disparitions », « torture », « violences sexuelles » et « travail forcé » à l’encontre des Rohingyas. Toutes ces exactions constituent « les crimes les plus graves au regard du droit international ».
L’ONU demande « la fin de toutes les opérations militaires (…) illégales, inutiles ou disproportionnées, en particulier lorsqu’elles visent des civils », et elle demande aux autorités birmanes de « ne pas faire obstacle au retour sûr et durable » des membres de la minorité ethnique rohingya en Birmanie.
Les réfugiés rohingyas ne veulent pas rentrer en Birmanie
« Je me souviens avoir déjà dénoncé le début du génocide en 2013, l’année qui at suivi les premières tensions, au cours d’une conférence au Club des correspondants étrangers de Bangkok. Amnesty comme Human rights watch avaient répondu que j’exagérais, poursuit Maung Zarni. Mais aujourd’hui il n’y a aucune chance pour voir un processus de retour des Rohingyas en Birmanie en dépit des accords signés avec le Bangladesh ».
Selon lui, même si des garanties étaient données par l’armée birmane, personne ne rentrerait en Birmanie, car personne ne leur ferait confiance. « La stratégie de nettoyer le pays des Rohingyas a dépassé les rêves les plus fous des militaires aujourd’hui, il n’en reste que quelques centaines de milliers sur plus d’un million ».
Les accusations directes contre Aung San Suu Kyi dans le rapport de l’ONU pour ne pas « avoir utilisé sa position de facto de chef de gouvernement, ni son autorité morale pour contrer ou empêcher » les violences viennent s’ajouter à la déception de la communauté internationale qui l’avait portée aux nues lorsqu’elle était en résidence surveillée à Rangoun pendant des années.
« Elle n’a plus aucun avenir désormais car elle est piégée dans le cercle viceux birman, dans le piège tendu par les militaires il y a des années, explique Maung Zarni qui reconnaît l’avoir admirée et soutenue longtemps. Mais elle a tourné le dos à sa base politique et n’a pas de stratégie ». Quant à la possibilité que les militaires soient jugés devant la Cour pénale internationale à l’avenir ? « Aucune chance, assure-t-il, car les militaires ont le soutien de la Russie et de la Chine, ça n’arrivera pas ».